L'abbé Fouré

« M. l'abbé Fouré, plus connu, non seulement sur la Côte d'Emeraude, où il était très populaire, mais dans le monde entier, sous le nom de l'Ermite de Rothéneuf, vient de mourir, dans son curieux ermitage de Haute Polie, à l'âge de 72 ans.
M. l'abbé Fouré, qui, après avoir longtemps exercé le saint ministère à Paimpont, en plein pays de légende, s'était retiré à Rothéneuf, est l'auteur des curieuses sculptures qui ont certainement le plus contribué à faire connaître aux quatre coins du .globe le nom de Rothéneuf.
C'était un artiste, un artiste primitif, un peu fruste, mais un artiste quand même, qui a su faire passer dans l'épopée de granit dont il a illustré le coin le plus sauvage de nos falaises, toute la sincérité fougueuse de son âme de chrétien, de patriote et aussi, pour ne pas faire mentir la vieille tradition française, de douce et innocente ironie. L'œuvre de M. l'abbé Fouré lui survivra longtemps, et qui sait si, lorsque son nom sera, hélas! oublié, les artistes des âges futurs n'admireront pas ses bonshommes de pierre.
Lui n'en demandait pas tant : il les aimait, ces bonshommes, non, certes, pour leur valeur artistique, — il me l'a dit bien souvent, - mais pour le bien qu'ils lui permettaient de faire, et je crois que le meilleur témoignage qu'on puisse donner à sa mémoire respectée, c'est de publier ici les strophes qu'une poétesse passant à Rothéneuf lui avait dédiées et qu'il me dicta un jour en me disant que nul hommage ne lui avait été aussi sensible:
Et vous êtes venu, loin des routes tracées, ?Fuyant d'un sur instinct les vulgaires poncifs, ?Vous êtes venu fier, l'œil rempli de pensées, ?Mettra un peu d'art humain au front des vieux récits.
Votre habile ciseau sut faire avec adresse ?Le symbole héraldique et le profil hautain, ?Planta dans le granit le Celte qui se diesse, ?Près du Sphynx, attentif aux ordres du Destin.
Mai-Juin 1)10 U
Maintenant, de tous points, on vient à votre grève, ?Mais la gloire vous semble un salaire trop vain, ?Et vous réalisez un plus généreux rêve, ?Un beau rêve à la fois fraternel et divin.
Vous demandez surtout à vos héros de pierre
D'ouvrir aux malheureux la bourse du repu,
Afin de dire à Dieu, dans votre humble prière:
« Seigneur, pour vous servir, j'ai fait ce que j'ai pu. »
Rothéneuf a fait à ce prêtre vénérable, qui fut en môme temps un artiste d'une originalité puissante et un homme de bien, et qui a plus fait pour ce joli coin de la Côte d'Emeraude qui s'appelle Rothéneuf que la plus tapageuse des publicités, de solennelles obsèques.
C'est le matin, sous un ciel gris et discret, un ciel mélancolique, comme l'âme du défunt, qu'il s'en est allé, le bon ermite, précédé d'un nombreux clergé et suivi d'une foule recueillie, vers sa dernière demeure.
L'humble cercueil, sur lequel, auprès d'une croix de perles noires, on remarquait une superbe couronne de fleurs naturelles envoyée par la Société du Tramway de Rothéneuf, avait été déposé dans une des dépendances de l'ermitage, au milieu des mille trésors que le bon prêtre accumula dans son modeste logis. Et tous ces bonshommes de pierre ou do bois, et ces balustrades aux formes originales, et ces meubles finement fouillés qui constituaient la seule richesse et la seule joie du vieil artiste, semblaient, eux aussi, sous le ciel gris et triste, partager la tristesse commune, car le poète a raison : « Les choses aussi pleurent. »
A 10 heures, le cortège, au son grêle de la cloche, prit le chemin de l'église paroissiale, toute voisine.
Après l'évangile, M. le chanoine Brûlé,, curé-archiprêtre de Saint-Malo, monta en chaire pour recommander aux prières de l'assistance l'âme du vénérable ermite de Rothéneuf. Et ce fut avec un accent de véritable émotion que l'orateur, après avoir évoqué le souvenir des ermites des premiers âges du christianisme, qui étaient aussi des saints vers qui les foules, toujours avides de mystère, se portaient en masse, compara à ces ascètes des époques lointaines le bon ermite de Rothéneuf.
Puis, après les saisissantes lamentations de l'absoute, le cortège, toujours nombreux, se dirigea vers le cimetière.
Et, après un dernier adieu, la foule s'écoula lentement, regrettant que cette triste cérémonie ne se soit pas achevée plus loin, là-bas, dans ce coin de falaise sauvage, sans cesse souffleté par les vents du large, dans le roc solide où il avait édifié déjà le tombeau de son saint préféré, saint Budoc, dans ce musée primitif où il passa les meilleures heures de sa vie contemplative et où il eût sans doute aimé dormir son dernier sommeil.
Si, cependant, pour des raisons de convenances, son vœu ne pouvait être réalisé, souhaitons au moins que les habitants de Rothéneuf, reconnaissants envers le bon ermite qui a fait le renom de leur pays, lui élèvent, dans le cimetière paroissial, sur le petit tertre que lui a concédé gratuitement le Conseil Municipal, un tombeau digne de sa gloire éphémère et de son inépuisable charité. »
(Louis Boivin, « À travers la Bretagne », Revue de Bretagne, Vannes, Lafolye frères/Paris, Honoré Champion, janvier 1910, p. 321-323.)

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