L'histoire du père Leuleu
« Il semble acquis qu’il est né à Paris en 1836, qu’il a grandi dans une famille assez aisée dont le père exerçait la profession de maître blanchisseur. À l’âge de trois ans, dit-on, il figura avec beaucoup de conviction le rôle de l’Amour dans un cortège de mi-carême. C’est chez les frères du Gros-Caillou qu’il commença des études qui le menèrent en 1854 ou 1855 au « niveau bac », dirait-on aujourd’hui, faute de savoir s’il a ou non passé l’examen. Toujours d’après ses dires, il se maria et eut des enfants.
« [Il se trouvait encore à Paris] lorsqu’en 1871 éclata la Commune, et se rangea aux côtés des insurgés. Il laissait volontiers entendre qu’il avait exercé de très hautes fonctions pendant cette époque troublée. Ce qui est certain, c’est qu’il échappa aux terribles fusillades des Versaillais. Fait prisonnier au plateau de Châtillon, il fut envoyé au fort de Kellern, près de Brest, et se flattait de s’y être lié avec le géographe Elisée Reclus. Un parent forçat : quelle honte, surtout à l’époque ! Cette expérience du bagne, sans doute terriblement éprouvante en elle-même, a sans doute eu également pour effet de le couper de sa famille. Quand et comment Leleu fut-il libéré ? Mystère. Durant les années suivantes, on l’imagine volontiers trimardeur, sorte de SDF avant la lettre, hanté par ses années d’épreuve, sillonnant la France et subsistant à coup de petits boulots. Il prétendait aussi avoir effectué divers voyages, en Algérie, en Tunisie ou en Corse.
« C’est ainsi qu’en 1886, il arrive à Saint-Moré. Ou, plus exactement, à Arcy-sur-Cure, où réside un certain Guyard, industriel exploitant une carrière d’ocre, qui l’embauche comme terrassier. La carrière forme une grotte artificielle dans la Côte de Chair, sur la commune de Saint-Moré. Les terres extraites sont chargées dans la vallée, et de là transportées jusqu’à Voutenay, où on les traite pour en extraire l’ocre. Rapidement, l’affaire périclite. Leleu se retrouve sans emploi, contraint de se louer pour effectuer des travaux à la journée. Les curés-archéologues des environs - l’abbé Parat, curé de Bois-d’arcy et l’abbé Poulaine, curé de Voutenay - utilisent volontiers ses services. Reste la question du logement. Manque de ressources pour payer un loyer, ou besoin vital de liberté ? Toujours est-il que, la grotte de Guyard se trouvant désormais vide, le quinquagénaire décide d’y élire domicile et dote l’endroit d’aménagements sommaires. Sur les cartes postales qu’il vendra plus tard aux touristes, on voit un banc, un grand baquet de bois, une petite table… Sa « chambre à coucher » se trouve sur la droite, séparée du vide par un muret de pierres sèches. De son lit de fougères, l’occupant jouit d’une vue imprenable sur la vallée de la Cure. En guise d’escalier, il installe la corde à nœuds qui, la célébrité venue, fera la joie des touristes.
« Dans ce cadre romantique à souhait, il invite une compagne de rencontre à venir le rejoindre. En 1887, Alice-Almira Liézard quitte Paris pour Saint-Moré. Était-elle avertie du domicile pour le moins original qu’elle allait trouver ? Celle que Leleu dénommait "la bourgeoise" ne survivra que quatre ans à sa nouvelle - et fort rude - existence. Très vite, elle tombe malade, et se couche pour ne plus se relever. Un soir, l’abbé Poulaine lui donne l’extrême-onction. Il raconte : "Par une tempête de neige, je l’administrai à la lueur des torches et au bruit sinistre du vent s’engouffrant dans la caverne. Un grand-duc, chassé par la tourmente, vint, à ce moment, s’abattre au pied de l’humble couche de la mourante".
« […] Leleu aurait, paraît-il, souhaité enterrer la défunte dans sa grotte : les autorités locales l’en empêchent. Reste à descendre le corps de la grotte pour le transporter au cimetière du village. « Il a fallu glisser l’humble cercueil au flanc de la montagne ; on n’y est parvenu qu’au prix d’infinies précautions et de rudes efforts », écrivit à l’époque « La Revue de l’Yonne ». On raconta plus tard que, la corde s’étant rompue, le cercueil fut précipité dans le vide et dévala la pente, venant s’immobiliser, tout disloqué, au bord du chemin de terre qui longe la Cure. Ce qui semble avéré, c’est qu’une fois le fardeau mortuaire parvenu au pied de la falaise, le transport au cimetière s’effectue à l’aide d’une brouette. Aucun corbillard ni charrette n’est mis à la disposition du père Leleu. Les habitants du village commencent par ignorer, voire rejeter cet original qui mène une existence si différente de la leur. Comment pourraient-ils deviner que, vingt ans plus tard, il sera leur gloire locale ?
« […] Il n’a plus de travail : la carrière d’ocre où il était employé comme terrassier, dans la grotte de la Colombine, a cessé son activité. Ses seules ressources sont les travaux de fouilles qu’il exécute pour l’abbé Poulaine ou l’abbé Parat, prêtres et archéologues, qui s’intéressent aux grottes préhistoriques de Saint-Moré […]
« Yeux vifs surmontant une barbe broussailleuse, crâne dégarni et balafré souvent coiffé d’un chapeau, le père Leleu a été pendant deux décennies une véritable curiosité, que les Parisiens férus d’archéologie venaient visiter au même titre que le camp de Cora ou les grottes d’Arcy. C’est que, à partir d’éléments de bric et de broc, il s’était composé une image bien au point, avec un étonnant sens de ce que l’on n’appelait pas encore le marketing. Assez instruit pour l’époque, le vieil ermite, sous des dehors frustes, ne manquait certes pas de malice. Peut-être aussi sa promotion a-t-elle été prise en main par un homme avisé, réalisant tout le parti qu’il pouvait tirer de ce personnage pittoresque à souhait ? Le bruit en a couru, accrédité par le florissant commerce de cartes postales dont le père Leleu était le héros, et par la vente de la biographie parue en 1897 et rédigée par un certain Jho Pale (pseudonyme d’un journaliste clamecycois)
« Pittoresque, en tout cas, c’était le mot. « J’ai personnellement eu l’occasion de rencontrer le père Leleu dans la grotte où il s’était installé, avec tout son environnement, notamment des chiens de garde et, dans des bouteilles, des vipères bien vivantes. Ce refuge était une sorte de bric-à-brac où l’on trouvait, mélangés, les éléments de sa subsistance et des objets d’archéologie découverts dans les grottes », écrivait en 1971 Marcel Gauthier dans « l’Echo d’Auxerre ». Loin de se tenir à l’écart de l’humanité, l’ermite de Saint-Moré ne demandait pas mieux que de faire visiter son repaire. Moyennant finances, s’entend. Il n’était pas rare, racontait Mme Mongellaz dans une communication faite en 1965 à la Société d’études d’Avallon,d’entendre un paysan du coin héler le troglodyte : « Hé, pée Leleu, e yée un parigot que vourot voie tai grotte, esce qu’o peut monter ? » En s’aidant d’une corde à nœuds, le touriste parvenait à prendre pied dans la vaste cavité, au milieu des chiens et des lapins. Le maître de céans faisait les honneurs du vaste domaine qu’il s’était approprié, en paroles tout du moins : « Ma maison, mes rochers, mes champs, ma rivière », aimait-il à dire. Selon les jours et les visiteurs, il jouait un air de vielle, déclamait des poèmes de sa composition, racontait des histoires plus ou moins pimentées. Son grand plaisir : épater le bourgeois en lui mettant sous le nez les vipères vivantes qu’il conservait et nourrissait dans des bocaux. Le visiteur au cœur bien accroché (les verres étaient sommairement rincés dans l’eau de la Cure) pouvait siroter une bière ou une limonade bien fraîche. Il était invité à conserver un souvenir de cette étonnante balade en acquérant quelques cartes postales ou la biographie de son hôte. L’amateur d’archéologie pouvait même repartir (toujours moyennant finances) avec des ossements ou des vestiges préhistoriques glanés dans les grottes alentour. À l’occasion, le père Leleu - qui s’était autoproclamé « gardien des grottes de Saint-Moré » - se faisait guide dans les cavités intéressantes de la Côte de Chair. Dans la grotte voisine de la sienne, au bout d’un couloir d’une centaine de mètres, il montrait une sépulture préhistorique qu’il prétendait avoir découverte lui-même. Pilleur de cavernes ou précieux auxiliaire de la science ?
« Pittoresque, en tout cas, c’était le mot. « J’ai personnellement eu l’occasion de rencontrer le père Leleu dans la grotte où il s’était installé, avec tout son environnement, notamment des chiens de garde et, dans des bouteilles, des vipères bien vivantes. Ce refuge était une sorte de bric-à-brac où l’on trouvait, mélangés, les éléments de sa subsistance et des objets d’archéologie découverts dans les grottes », écrivait en 1971 Marcel Gauthier dans « l’Echo d’Auxerre ». Loin de se tenir à l’écart de l’humanité, l’ermite de Saint-Moré ne demandait pas mieux que de faire visiter son repaire. Moyennant finances, s’entend. Il n’était pas rare, racontait Mme Mongellaz dans une communication faite en 1965 à la Société d’études d’Avallon,d’entendre un paysan du coin héler le troglodyte : « Hé, pée Leleu, e yée un parigot que vourot voie tai grotte, esce qu’o peut monter ? » En s’aidant d’une corde à nœuds, le touriste parvenait à prendre pied dans la vaste cavité, au milieu des chiens et des lapins. Le maître de céans faisait les honneurs du vaste domaine qu’il s’était approprié, en paroles tout du moins : « Ma maison, mes rochers, mes champs, ma rivière », aimait-il à dire. Selon les jours et les visiteurs, il jouait un air de vielle, déclamait des poèmes de sa composition, racontait des histoires plus ou moins pimentées. Son grand plaisir : épater le bourgeois en lui mettant sous le nez les vipères vivantes qu’il conservait et nourrissait dans des bocaux. Le visiteur au cœur bien accroché (les verres étaient sommairement rincés dans l’eau de la Cure) pouvait siroter une bière ou une limonade bien fraîche. Il était invité à conserver un souvenir de cette étonnante balade en acquérant quelques cartes postales ou la biographie de son hôte. L’amateur d’archéologie pouvait même repartir (toujours moyennant finances) avec des ossements ou des vestiges préhistoriques glanés dans les grottes alentour. À l’occasion, le père Leleu - qui s’était autoproclamé « gardien des grottes de Saint-Moré » - se faisait guide dans les cavités intéressantes de la Côte de Chair. Dans la grotte voisine de la sienne, au bout d’un couloir d’une centaine de mètres, il montrait une sépulture préhistorique qu’il prétendait avoir découverte lui-même. Pilleur de cavernes ou précieux auxiliaire de la science ?
« À 77 ans sonnés, le vieux troglodyte semblait se porter comme un charme lorsque survint sa mort brutale, dont les circonstances n’ont jamais été véritablement éclaircies. « La revue de l’Yonne » du 30 janvier 1913 raconte : « Lundi matin, vers 7 heures et demie, M. Momon, épicier à Arcy-sur-Cure, arriva au faîte du cordillon. Il fut salué par les aboiements furieux des quatre chiens du père Leleu et, contrairement à son habitude, le vieillard ne vint point à sa rencontre. Avançant de quelques mètres, il aperçut le père Leleu qui gisait allongé sur le sol humide, les bras crispés, la tête en sang. Fidèle entre les fidèles, la chienne favorite du vieillard, Lisette, était accroupie sur les jambes de son maître. M. Momon n’eut point de peine à se rendre compte que le père Leleu était mort ». Le corps présentait, paraît-il, un trou derrière la tête, ainsi que des meurtrissures profondes aux genoux et aux jambes […]
La mort du père Leuleu est ainsi rangée au rang des mystères locaux !
Les citation ci-dessus sont extraites de deux articles de Françoise Lafaix :
L'Yonne Républicaine, 5 mars
ibidem, 11 mars 2002.

Le Testament du père Leuleu
Le Testament du père Leuleu est une pièce de théâtre de Roger-Martin du Gard, créée au théâtre du Vieux Colmbier en 1914, dont le texte original a été écrit en dialecte berrichon. Ce père Leuleu de fiction n'a rien à voir avec le père Leuleu de Saint-Moré.

http://folklores.modernes.biz/files/gimgs/109_leuleu002site.jpg
CPA, oblitérée du 4 août 1908
Potbain éd., coll. M/C
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CPA, oblitérée en 1917
ND ph, coll. M/C
http://folklores.modernes.biz/files/gimgs/109_leuleu003site.jpg
CPA, oblitérée en 1904
Ph Desvignes, Clamecy
http://folklores.modernes.biz/files/gimgs/109_leuleu005site.jpg
CPA oblitérée du 17 février 1917
ND photo, Paris, coll. M/C
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CPA, sd
ND photo, Paris, coll. M/C
http://folklores.modernes.biz/files/gimgs/109_leuleu006site.jpg
CPA, oblitérée du 21 septembre 1904
Ph J.D. Sens, coll. M/C