Angèle Laissue
Le musée de la Création, 2010

Le Creation Museum, situé à Petersburg dans le Kentucky (États-Unis) a ouvert ses portes en 2007 et avait déjà accueilli 250 000 visiteurs au cours des six premiers mois de son existence. Ce musée a été financé à hauteur de vingt-sept millions de dollars par des donations émanant d’une association chrétienne de promotion du créationnisme : Answers in Genesis (« Les réponses sont dans la Genèse »). Ken Ham, un ancien professeur originaire d’Australie, en est le fondateur et l’actuel président. Ce musée privé propose à ses visiteurs un parcours mettant en scène une lecture particulière du livre de la Genèse, selon laquelle l’univers et toutes les formes de vie sur terre auraient été créés en six jours, il y a environ six mille ans. Ken Ham se donne pour double objectif d’« aider les gens à grandir dans leur foi chrétienne en apprenant plus sur le sujet biblique de la création » et de « changer les esprits et réfuter le point de vue scientifique ».
Le mouvement créationniste est né au XIXe siècle, en réaction contre le darwinisme (1). Le premier affrontement direct entre les darwinistes et les créationnistes eut lieu à l’Université d’Oxford en 1860, l’année qui suivit la publication de L’Origine des espèces lors d’un débat opposant l’évêque Samuel Wilberforce à Thomas Huxley, ami de Charles Darwin. Il existe actuellement différents courants créationnistes dans les milieux évangéliques et musulmans (2) ; s’il est impossible de dégager une tendance et une motivation unique, on remarquera cependant que tous s’attachent à emprunter à la science ses formes rhétoriques afin de combattre sur son propre terrain la théorie évolutionniste, considérée comme une attaque dirigée contre les Écritures. En effet, bien que le créationnisme « scientifique » soit une véritable contradiction dans les termes, ses acteurs se présentent eux-mêmes comme des scientifiques. Ils sont titulaires de doctorats, donnent des conférences avec rétroprojecteur, vantent la qualité de leurs transparents illustrés et en couleurs, réalisent des documentaires et publient des revues calquées sur des modèles scientifiques. (3)
Dans cette logique, l’association Answers in Genesis s’est attachée, avec le musée de la Création, à revisiter un autre monument du rationalisme scientifique : le musée d’histoire naturelle, institution qui, considérée d’un point de vue créationniste, devient un lieu de propagande évolutionniste.
En préambule de cette démonstration muséographique, que l’on pourrait envisager comme une forme contemporaine d’art chrétien, sont accrochés des tableaux graphiques et des schémas illustrant notamment l’opposition des deux théories. Suivent des dioramas grandioses et remarquablement réalisés, proposant au visiteur une véritable expérience d’immersion dans le jardin d’Éden, le péché originel, le premier sacrifice, l’arche de Noé ; sans oublier l’image créationniste la plus frappante?: les représentations de dinosaures coexistant avec des êtres humains. Il faut souligner que les musées d’histoire et d’histoire naturelle locaux usent de la même esthétique de parcs à thème : mannequins de cire, sculptures d’animaux en résines synthétiques, végétation artificielle et éclairage théâtral. L’esthétique du musée de la Création s’inscrit donc dans un langage formel tout à fait ancré dans le paysage muséal américain, à mi-chemin entre l’exposition didactique et le parc de loisir. Bien que l’usage du diorama dans l’art chrétien puisse paraître surprenant, on en trouve toutefois de nombreuses occurrences. On pourra penser aux Sacri Monti de Lombardie et du Piémont, reconstitutions topographique de Jérusalem construites entre les XVe et XVIIIe siècles, qui en sont des exemples remarquables. Sur ces sites, furent érigées des chapelles abritant des statues polychromes grandeur nature disposées devant des fresques dépeignant divers sites bibliques.(4)
Il est également intéressant de relever que le créationnisme a engendré toute une iconographie satirique, dont des Christs à tête de velociraptor (un petit dinosaure carnivore rendu célèbre par le film Jurassic Park réalisé par Steven Spilberg en 1993) ou chevauchant un raptor lors de son entrée à Jérusalem. Ces parodies émanent parfois directement des milieux scientifiques : la plus célèbre satire étant le Pastafarisme, « la cosmogonie du monstre-spaghetti volant », inventée en 2005 par le physicien Bobby Henderson (5), alors âgé de 24 ans, en protestation contre la décision de l’État du Kansas de permettre l’enseignement du dessein intelligent, une forme plus récente et modérée du créationnisme, dans les cours de sciences.(6)

1. Sur les raports entre créationnisme et évolutionnisme ainsi que leurs enjeux actuels, voir notamment Et Dieu créa Darwin : Théorie de l’évolution et créationnisme en Suisse aujourd’hui, Philippe Bornet, Claire Clivaz, Nicole Durisch Gauthier, Christine Fawer Caputo et François Voegeli éds., Genève, Labor et Fides, 2011.
2. Harun Yahya, de son vrai nom Adnan Oktar, est un défenseur du créationisme musulman particulièrement célèbre. Des dizaines de milliers d’exemplaires de son Atlas de la Création en trois volumes, Istanbul, Global Publishing, 2006 et 2007 ont été distribués gratuitement dans des écoles et institutions en Europe et aux États-Unis en 2007. Il a également organisé de nombreuses conférences –dont une à Genève en 2010 à laquelle il a participé par vidéoconférence, étant assigné à résidence en Turquie. En 1986, il a été incarcéré puis transféré dans un hôpital psychiatrique durant 19 mois suite à la pubication de son premier livre Yahudilik ve Masonluk (Judaism and Freemasonry), Istanbul, Sezgin Nesriyat ve Ciltevi, 1986. [www.harunyahya.com]
3. Citons par exemple : Acts & Facts, Institute for Creation Research, USA ; Answers magazine, Anwers in Genesis, USA ; Biblical Archaeology Review, Biblical Archaeology Society, USA ; Biblical Astronomer Journal, Association for Biblical Astronomy, USA ; Creation, Creation Ministries International, Australie ; Creation Research Society Quarterly, Creation Research Society, USA ; Foundations of Science, Common Sense Science, USA ; Perspectives on Science & Christian Faith, American Scientific Affiliation, USA ; Theology and Science, Center for Theology and the Natural Sciences, USA.
4. A ce propos, cf. notamment David Freedberg, Le Pouvoir des images, Paris, Montfort, 1998.
5. Bobby Henderson, The Gospel of the Flying Spaghetti Monster, New York , Villard Books, 2006. Ce mouvement a surtout été diffusé par internet et cet ouvrage fut quant à lui publié en tant que « bible » du Pastafarisme.
6. Lettre ouverte de Bobby Henderson au comité d’état à l’éducation du Kansas, Traduite par la Sainte Église du Monstre en Spaghettis Volant, Branche Francophone [www.eqmsv.org/opinions].

Angèle Laissue
Le musée de la Création, 2010

Le Creation Museum, situé à Petersburg dans le Kentucky (États-Unis) a ouvert ses portes en 2007 et avait déjà accueilli 250 000 visiteurs au cours des six premiers mois de son existence. Ce musée a été financé à hauteur de vingt-sept millions de dollars par des donations émanant d’une association chrétienne de promotion du créationnisme : Answers in Genesis (« Les réponses sont dans la Genèse »). Ken Ham, un ancien professeur originaire d’Australie, en est le fondateur et l’actuel président. Ce musée privé propose à ses visiteurs un parcours mettant en scène une lecture particulière du livre de la Genèse, selon laquelle l’univers et toutes les formes de vie sur terre auraient été créés en six jours, il y a environ six mille ans. Ken Ham se donne pour double objectif d’« aider les gens à grandir dans leur foi chrétienne en apprenant plus sur le sujet biblique de la création » et de « changer les esprits et réfuter le point de vue scientifique ».
Le mouvement créationniste est né au XIXe siècle, en réaction contre le darwinisme (1). Le premier affrontement direct entre les darwinistes et les créationnistes eut lieu à l’Université d’Oxford en 1860, l’année qui suivit la publication de L’Origine des espèces lors d’un débat opposant l’évêque Samuel Wilberforce à Thomas Huxley, ami de Charles Darwin. Il existe actuellement différents courants créationnistes dans les milieux évangéliques et musulmans (2) ; s’il est impossible de dégager une tendance et une motivation unique, on remarquera cependant que tous s’attachent à emprunter à la science ses formes rhétoriques afin de combattre sur son propre terrain la théorie évolutionniste, considérée comme une attaque dirigée contre les Écritures. En effet, bien que le créationnisme « scientifique » soit une véritable contradiction dans les termes, ses acteurs se présentent eux-mêmes comme des scientifiques. Ils sont titulaires de doctorats, donnent des conférences avec rétroprojecteur, vantent la qualité de leurs transparents illustrés et en couleurs, réalisent des documentaires et publient des revues calquées sur des modèles scientifiques. (3)
Dans cette logique, l’association Answers in Genesis s’est attachée, avec le musée de la Création, à revisiter un autre monument du rationalisme scientifique : le musée d’histoire naturelle, institution qui, considérée d’un point de vue créationniste, devient un lieu de propagande évolutionniste.
En préambule de cette démonstration muséographique, que l’on pourrait envisager comme une forme contemporaine d’art chrétien, sont accrochés des tableaux graphiques et des schémas illustrant notamment l’opposition des deux théories. Suivent des dioramas grandioses et remarquablement réalisés, proposant au visiteur une véritable expérience d’immersion dans le jardin d’Éden, le péché originel, le premier sacrifice, l’arche de Noé ; sans oublier l’image créationniste la plus frappante?: les représentations de dinosaures coexistant avec des êtres humains. Il faut souligner que les musées d’histoire et d’histoire naturelle locaux usent de la même esthétique de parcs à thème : mannequins de cire, sculptures d’animaux en résines synthétiques, végétation artificielle et éclairage théâtral. L’esthétique du musée de la Création s’inscrit donc dans un langage formel tout à fait ancré dans le paysage muséal américain, à mi-chemin entre l’exposition didactique et le parc de loisir. Bien que l’usage du diorama dans l’art chrétien puisse paraître surprenant, on en trouve toutefois de nombreuses occurrences. On pourra penser aux Sacri Monti de Lombardie et du Piémont, reconstitutions topographique de Jérusalem construites entre les XVe et XVIIIe siècles, qui en sont des exemples remarquables. Sur ces sites, furent érigées des chapelles abritant des statues polychromes grandeur nature disposées devant des fresques dépeignant divers sites bibliques.(4)
Il est également intéressant de relever que le créationnisme a engendré toute une iconographie satirique, dont des Christs à tête de velociraptor (un petit dinosaure carnivore rendu célèbre par le film Jurassic Park réalisé par Steven Spilberg en 1993) ou chevauchant un raptor lors de son entrée à Jérusalem. Ces parodies émanent parfois directement des milieux scientifiques : la plus célèbre satire étant le Pastafarisme, « la cosmogonie du monstre-spaghetti volant », inventée en 2005 par le physicien Bobby Henderson (5), alors âgé de 24 ans, en protestation contre la décision de l’État du Kansas de permettre l’enseignement du dessein intelligent, une forme plus récente et modérée du créationnisme, dans les cours de sciences.(6)

1. Sur les raports entre créationnisme et évolutionnisme ainsi que leurs enjeux actuels, voir notamment Et Dieu créa Darwin : Théorie de l’évolution et créationnisme en Suisse aujourd’hui, Philippe Bornet, Claire Clivaz, Nicole Durisch Gauthier, Christine Fawer Caputo et François Voegeli éds., Genève, Labor et Fides, 2011.
2. Harun Yahya, de son vrai nom Adnan Oktar, est un défenseur du créationisme musulman particulièrement célèbre. Des dizaines de milliers d’exemplaires de son Atlas de la Création en trois volumes, Istanbul, Global Publishing, 2006 et 2007 ont été distribués gratuitement dans des écoles et institutions en Europe et aux États-Unis en 2007. Il a également organisé de nombreuses conférences –dont une à Genève en 2010 à laquelle il a participé par vidéoconférence, étant assigné à résidence en Turquie. En 1986, il a été incarcéré puis transféré dans un hôpital psychiatrique durant 19 mois suite à la pubication de son premier livre Yahudilik ve Masonluk (Judaism and Freemasonry), Istanbul, Sezgin Nesriyat ve Ciltevi, 1986. [www.harunyahya.com]
3. Citons par exemple : Acts & Facts, Institute for Creation Research, USA ; Answers magazine, Anwers in Genesis, USA ; Biblical Archaeology Review, Biblical Archaeology Society, USA ; Biblical Astronomer Journal, Association for Biblical Astronomy, USA ; Creation, Creation Ministries International, Australie ; Creation Research Society Quarterly, Creation Research Society, USA ; Foundations of Science, Common Sense Science, USA ; Perspectives on Science & Christian Faith, American Scientific Affiliation, USA ; Theology and Science, Center for Theology and the Natural Sciences, USA.
4. A ce propos, cf. notamment David Freedberg, Le Pouvoir des images, Paris, Montfort, 1998.
5. Bobby Henderson, The Gospel of the Flying Spaghetti Monster, New York , Villard Books, 2006. Ce mouvement a surtout été diffusé par internet et cet ouvrage fut quant à lui publié en tant que « bible » du Pastafarisme.
6. Lettre ouverte de Bobby Henderson au comité d’état à l’éducation du Kansas, Traduite par la Sainte Église du Monstre en Spaghettis Volant, Branche Francophone [www.eqmsv.org/opinions].