Saintyves
Folklore : étymologie, équivalents, synonymes

« Le mot qu’il s’agit de définir apparaît pour la première fois dans l’Athenæum du 22 août 1846. Une lettre signée Ambrose Morton pseudonyme de l’archéologue William John Thoms († 1885), proposait de comprendre tout ce que l’on entendait en anglais par Antiquités populaires et Littératures populaires, sous le nom de folk-lore : folk, peuple et lore, savoir ; autrement dit the lore of the people, ou le savoir du peuple. L’imprécision même de ce composé anglo-saxon lui était un gage de succès, en lui permettant de s’adapter aux extensions ou aux variations qu’impose la vie aux termes scientifiques comme aux autres mots. Le suffixe lore, pour les peuples de langue anglaise, avait le grand avantage de pouvoir s’adjoindre à beaucoup de mots et de former des termes commodes et expressifs. Celui qui rencontre des livres intitulés : Bird-lore ou Plant-lore comprend immédiatement que leur auteur y traite des oiseaux ou des plantes considérés du point de vue où le peuple les envisage dans ses traditions, dans ses superstitions, ses proverbes et ses dénominations. De son côté, le préfixe Folk se prête à des combinaisons non moins heureuses : Folk-song ou Folk-medicin fournissent des titres brefs et expressifs aux essais ou aux livres consacrés aux chansons populaires ou à la médecine du peuple. En fin, la brièveté relative de ce vocable composé permet la formation de dérivés comme folklorist ou folkorism. La fondation de la Folklore Society, en 1879, attestait et consacrait le triomphe du nouveau terme en Angleterre. Le premier numéro du Folk-Record, organe de cette société, était d’ailleurs préfacé par W. J. Thoms, et reproduisait la lettre de l’Athenæum.
L’Allemagne, les pays scandinaves et les Pays-Bas le transposèrent, et lui préférèrent son équivalent Volkskunde, d’où ils dérivèrent Volkskuendlich. En 1888, parut, à Gand, Wolkskunde, une revue flamande, qui a pour sous-titre Tijdschrift voor nederlandisch Folk-Lore. L’emploi de l’anglais dans ce sous-titre témoigne qu’il avait tout au moins droit de cité en Flandre à côté du mot Wolkskunde. Il en était de même dans tous les pays de langue germanique, sauf toutefois en Autriche et en Allemagne.
Les savants de langue latine, tout d’abord, se sont montrés beaucoup moins accueillants au nouveau terme. Vers 1877, en France, dans des « dîners scientifiques », on proposa les mots de démopsychologie et anthropopsychologie, dont le second, beaucoup trop général, fut écarté tout d’abord et dont le premier fut pris plus tard en Italie. En 1880, il y eut un « déjeuner mythographique » ; mais le terme mythographie, à juste titre, ne parut pas assez extensif, puisqu’il négligeait les usages et les coutumes. Le fameux Dîner de Ma Mère l’Oye, fondé en 1882, par Loys Brueyre, Henri Gaidoz, Eugène Roland et Paul Sébillot, devait s’appeler d’abord « Dîner du Folklore ». Dans les premières « sessions » de ces agapes de savants français, on convint que le terme folklore présentait de grands avantages en raison de sa brièveté et surtout de l’élasticité de sa signification. De plus, il permettait, disait Paul Sébillot, la formation des substantifs folkloriste et folklorisme, de l’adjectif folklorique, de l’adverbe folkloriquement. Et pour sa part, il eut admis que l’on dît folkloriser et folklorisant pour : s’occuper de folklore et : qui s’occupe de folklore. En 1885, le comte de Puymaigre, l’un des doyens des études traditionnistes en France, adopte ce mot pour titre d’un volume tout entier consacré à la littérature populaire. En 1886, dans la Revue d’Anthropologie, le mot lui-même sert de titre à un essai de Paul Sébillot; néanmoins, celui-ci donne à la revue qu’il crée la même année le nom de Revue des Traditions populaires. L’année suivante, quelques-uns de ses collaborateurs, voulant, disaient-ils, accorder une plus large place à l’esthétique et à la sociologie, fondent La Tradition, et préconisent les mots traditionnisme et traditionniste. Mais Sébillot mit fin à cette sourde résistance, lorsqu’en 1904 il publia le premier volume de son Folklore de France. La cause du terme anglais était déjà gagnée, quand parut son manuel de Folklore, en 1913.
On retrouve en Italie, les mêmes réactions, et peut-être y sont-elles plus accentuées. En 1877, François Sabatini publie la Rassegna di Litteratura popolare, qui devient l’année suivante la Rivista di Litteratura popolare. Ce n’est qu’en 1882 que G. Pitrè et Salomone Marino donnent le premier numéro des Archivio per lo studio delle Tradizoni popolari ; Cette préférence pour les termes de Littérature populaire ou pour l’expression plus générale de Traditions populaires se prolongera encore quelques années. C’est d’ailleurs vers 1888 seulement que le mot Folklore reçoit, en Italie, ses premières lettres de naturalisation, avec une étude de P. Rossi. Le 12 janvier de la même année, Pitrè inaugure à Palerme un cours de démopsychologie, ne pouvant se résigner à adopter le mot anglo-saxon. Mais ses élèves et ses continuateurs ne l’ont pas suivi et tous, aujourd’hui, emploient le mot folklore.
En Espagne, on proposa saber popular, équivalent de folklore, mais on lui préféra très rapidement le mot anglais : El Folk-Andaluz date de 1882 ; El Folk-Lore español figure en tête de la Bibliotheca de las Tradiciones españolas (1883).
On peut dire aujourd’hui que le terme folklore est universellement reçu dans le monde scientifique. Il en reste qu’à en préciser le sens. »

(Saintyves (1870-1935), Manuel de folklore, Paris, Émile Nourry, 1936, chap. I, p. 21-23 : § I. « Étymologie, Équivalents, Synonymes »)