La question de l'ascendance

« La question de l'ascendance dans la culture est fausse. Toute nouvelle manifestation culturelle réécrit le passé, transforme les vieux maudits en nouveaux héros, les vieux héros en personne qui n'aurait jamais dû naître. De nouveaux acteurs fouillent le passé à la recherche d'ancêtres, parce que l'ascendance est la légitimité et la nouveauté le doute – mais à toute les époques des acteurs oubliés émergent du passé non comme des ancêtres mais comme des proches. Pour l'Amérique des lettres des années vingt c'était Hermann Melville; pour le rock'n'roll des années soixante c'était Robert Johnson,, le bluesman du Mississipi des années trente; pour l'Occident du désordre des années soixante-dix c'était Walter Benjamin le critique prudemment absolutiste des années vingt et trente. En 1976 et 1977, et dans les années qui suivirent, symboliquement transformées par les Sex Pistols, c'étaient, peut-être, les dadaïstes, les lettristes, les situationnistes, et divers groupes hérétiques médiévaux.
Quand j'écoutais les disques, c'était difficile à dire. Quand je regardais les connections [sic] que d'autres avaient faites et tenues pour admises (après vérification, les faits ne sont pas toujours là), je me trouvais happé dans quelque chose qui était moins affaire de généalogie culturelle, de lignes à tracer entre les morceaux d'une histoire existante, qu'une histoire à fabriquer de toutes pièces. »

Greil Marcus, Lipstick Traces. Une histoire secrète du vingtième siècle [1998], Paris, Allia, 2000.