L'extension du domaine
Dans un texte daté, Saintyves, alias Émile Nourry, avait essayé de faire l'histoire de la façon dont le folklore avait étendu son aire de compétence. (Il concluait sa conférence par les deux paragraphes suivants : – « Que la méthode même du folklore le conduit à enseigner l’amour de la Patrie » ; – « La méthode même du Folklore nous oblige à mettre en pleine lumière le dogme de l’universelle fraternité» !)

« Le Domaine du Folklore. Comment il s'étendit peu à peu.
Le folklore, par l'immensité de son domaine est une science quelque peu effrayante. Ses premiers adeptes limitaient leurs recherches à la littérature populaire : contes et légendes, rondes et chansons, blasons et proverbes, devinettes et formulettes. Peu à peu les traditionnistes étendirent leur curiosité à tout ce qui se transmet par la tradition orale, à tout ce qui s'apprend hors de l'école, par le jeu même de la vie. Depuis longtemps déjà, les enquêteurs se sont attachés aux croyances et aux superstitions qui touchent de fort près à la littérature orale ; ils ne négligèrent pas, d’ailleurs, l’art de prédire le temps, l’astronomie, l’histoire naturelle, la médecine, tout ce qui pouvait s’appeler la science du peuple : dictons calendaires et météorologiques, minéralogie, botanique et zoologie populaires, remèdes de médicastres ou de bonnes femmes. Ils entreprirent, voici, plus de cinquante ans, la notation des coutumes et des usages qui s’imposent aux diverses époques de la vie individuelle : naissance, enfance, adolescence, mariage, mort et funérailles. Depuis bien longtemps encore, les fêtes civiles et religieuses, les coutumes et les usages de la vie publique ont trouvé des collecteurs et des historiens zélés, souvent folkloristes sans le savoir. Les enquêtes des traditionalistes ont fini par englober tous les métiers et toutes les techniques populaires. Toutes les professions ont leurs coutumes, leurs chansons, leurs superstitions, leurs croyances. Il y a, depuis longtemps, un folklore de la pêche et de pêcheurs ; chaque métier pourrait et devrait posséder les archives de ses traditions.
On ne s’est pas contenté d’aborder tous les aspects de la vie populaire traditionnelle, et de les consigner dans des livres plus ou moins illustrés – en général plutôt moins – ; on a pensé, aves juste raison, que tous les ouvrages sortis des mains du peuple méritent d’être recueillis, réunis, classés par catégories et par ancienneté, conservés avec non moins de soin et d’amour que les œuvres des grands artistes, ou de ceux que, pour un temps, l’on croit grands. Le musée de folklore complète heureusement aujourd’hui la bibliothèque de folklore. »

(Saintyves (1870-1935), « Apologie du Folklore ou de la Science de la Tradition populaire », conférence d'avril 1927, in Manuel de folklore, Paris, Émile Nourry, 1936, p. 2-3.)