Des antistrophes ou contrepèteries

On doit la première tentative d'analyse linguistique du contrepet à Estienne Tabourot*. Ce texte publié en 1582 n'omet pas de citer les deux premiers connus du genre: ceux de Rabelais dans le Pantagruel :

« Encor qu'aucuns ayant estimé que ces Antistrophes soient Equivoques, si l'on considère la définition de l'un et de l'autre. Car Antistrophe est proprement, une alternative conversion de mots, que les Latins ont appelé verborum inversiones : dont avec les Grecs ils ont pris l'étymologie de plusieurs nom […]
Comme qui diroit en françois Reunir, quasi Ruiner […]
Et combien que telle inversion d'une lettre seulement puisse aussi bien estre au rang des Anagrammes, si l'ay-je icy rapportée pour exemple semblable au Latin : D'autant mesmement que si l'on vouloit prendre toutes transpositions de lettres pour Anagrammes, les Antistrophes et la plupart des Equivoques y seroient reduits. J'en ay donc fait des Chapitres separez, et mesme de ces Antistrophes que les Poëtes Lyriques Grecs prenoient anciennement pour signifier le retour de leur dances, exprimé en leurs vers, entre Strophes et Epode, c'est-à-dire Tour et Pause : à l'imitation desquels Ronsard le premier a basty des Odes à la Françoise. Or, revenant à notre propos : De cette inversion de mot, nos peres ont trouvé une ingenieuse & subtile invention, que les Courtisans anciennement appelloient des Equivoques : ne voulans user du mot & jargon des bons compagnons, qui les appelloient des Contrepeteries. Et n’entendant aussi ce mot Antistrophe, qu’ils estimoient estre le lanagage inventé de quelque Lifrelofre : Ç’a esté le gentil, sçavant, & gratieux Rabelais, qui les a premier baptisé de ce nom Grec, encor que les Latins l’ayant ordinairement usurpé pour la transposition des noms : Comme Petriliber, au lieu de Liber Petri, pour ce que ailleurs, sinon pour leur etymologies, ils n’ont point usé de ces inversions. L’invention desquelles coonsiste à trouver deux mots, les premieres lettres desquels eschangeees, leur donnent une diverse signification, puis tu jugeras facilement s’il s’y trouvera un bon sens. L’exemple t’instruira aysément : Comme de gaster ostez G, & mettez un T, il y aura taster : puis grace, changez G en un autre T, il y aura trace : Ainsi que sont ces suyvants que tu ne prendras qu’à lechedoigts :

Taster la grace,
Gaster la trace.

Un sot pale,
Un pot sale

Muer une touche,
Tuer une mouche.

Un chapeau de roses,
Un rapeau de choses.

Elle fit son pris,
Elle pris son fils.

La coste du mons
La moste du etc.

Il tiendra une vache,
Il viendra une tache.

Mon cœur,
Con meur.

Il le dit à deux fames,
Il le fit à deux dames.

Baillez le flanc,
Faillez le blanc.

Et autres infinis, qu’on peut faire à discretion : desquels j’ay pour plaisir, recueilly ces contes suyvants, entre lesquels selon le vers Martialiste,
Sunt bona, sunt quadam mediocria, sunt mala plura :
Ces deux suyvants sont extraicts de l’histoire veridique du Grand Pantagrel :
Femme folle à la Messe, est volontiers molle à la fesse.
A Beau-mont le Viconte, A beau con le vi monte.

Il ne faut pas se scandaliser s’ils sont un peu naturalistes : car je ne sçay comme iladvient qu’ordinairement & plus volontiers on se ruë sur ceste matiere, que sur un autre, & y rencontre l’on plus plaisamment. Comme,

En faisant boutons,
En baisant, etc.

O que ces fagots coustent,
O que ces cag. fout.

Un lieur de chardons est mort à Falaize,
Un chieur de lardons est fort à malaize.

Onc peureux ne fit beau fait, disoit un preneur de barils,
Onc foireux ne fit beau pet, disoit un breneur de Paris.

On dit que quend les Dames de la Cour commencerent à porter des hauts de chausses, elles firent une convocation generale pour sçavoir comme elles les nommeroient, à la difference de celles des hommes : En fin du consentement de toutes, elles furent surnommes de ce nom Caleson, quasi sale con. Et depuis quand elles furent bien usées, é qu’on les donna aux laquais, on les appella lasse con.
C’est de long temps une table qui frotte, ou une fable qui trotte, qu’un Curé de bonne paste disoit un jour en son Sermon, que le monde estoit tout corrompu : Car les jeunes hommes s’attachoient aux bons Cordeliers, & que quasi toutes les jeunes filles de sa paroisse doutoient de leur foy, f. de leur d. […]

[Estienne Tabourot], Bigarures et Touches du Seigneur des Accords , Dijon, 1572.


 



Ch.B., 1992 


Ch. B., 1990